Bonjour et bienvenue dans cette première escale amoureuse !
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Le principe de cette lettre ? Chaque mois, le 21, vous recevrez dans votre boîte mail une nouvelle parlant d’amour, de sensualité et d’érotisme.
Pour cette première escale, j’ai choisi la date symbolique du 21 décembre, qui correspond pour moi à un souvenir précieux, associé au solstice d’hiver, à l’antique fête de Yule et à la journée mondiale de l’orgasme pour la paix dans le monde, avec cette idée que les pensées positives liées au plaisir sexuel peuvent changer le champ vibratoire de la planète.
La nouvelle que je vous propose est justement liée à cette idée. Il ne s’agit pas d’une nouvelle inédite, contrairement aux prochaines que vous ne pourrez lire nulle part ailleurs : elle a déjà été publiée dans mon recueil Salomé, et met donc en scène le personnage éponyme. Je l’ai légèrement modifiée pour l’occasion.
Place, maintenant, à la nouvelle !
Cette année, le 21 décembre tombait un vendredi, jour dédié à Vénus. Et c’était la pleine lune. L’occasion rêvée pour une soirée décadente comme Salomé les aimait. Si elle ne fêtait Noël qu’à son corps défendant, elle mettait un point d’honneur à célébrer la nuit la plus longue, l’antique fête de Yule. Sa manière de la célébrer tenait d’ailleurs plus des bacchanales romaines que du rituel nordique, mais elle aimait bien le nom de Yule. Avec le Y initial qui ressemblait à un sexe féminin. Elle aimait bien, aussi, l’idée de célébrer un rite païen, et même si elle ne croyait pas à la sorcellerie, elle appréciait le décorum. Salomé était une esthète, et raffolait des mises en scène raffinées pour s’envoyer en l’air.
Le 21 décembre était aussi, depuis plusieurs années, la journée mondiale de l’orgasme, et elle trouvait amusante l’idée que, grâce à son plaisir, le champ énergétique de la terre pouvait être modifié et les humains rendus plus heureux et pacifiques. Là encore, elle n’y croyait pas vraiment, mais elle avait lu nombre d’articles sur le sujet, et l’idée avait le mérite d’être intrigante. Et puis, après tout, il y avait un fond de vérité : l’énergie sexuelle a un pouvoir immense, et bien canalisée, qui sait si elle ne pourrait pas modifier le monde — voire le diriger.
Ce vendredi 21 décembre, Salomé avait donc décidé d’organiser une soirée décadente.
Elle était allée faire des courses pour se procurer tout ce dont elle avait besoin. Un arbre de noël et ses décorations. De multiples bougies et de l’encens. Une huile de massage au musc et aux épices. Une nouvelle robe. Des mets raffinés. Elle avait des amuse-bouche aux truffes pour l’apéritif. Elle avait les huîtres. Elle avait le vin, un excellent Pouilly fuissé. Elle avait le dessert, des macarons de chez Ladurée, qu’elle servirait avec du champagne rosé. Elle avait de quoi concocter un philtre d’amour à la cannelle et au chocolat.
Mais il lui manquait néanmoins l’essentiel. Elle n’avait toujours pas le convive idéal, qui s’harmoniserait parfaitement avec le menu et la tonalité de la soirée.
Elle passa en revue la liste des possibilités et finit par faire porter son choix sur Ethan, qui accepta immédiatement l’invitation.
*
Après un long bain chaud et parfumé, elle se consacra longuement à sa parure. Le maquillage d’abord. Elle avait toujours à l’esprit ce qu’en disait Baudelaire. La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits. Poudre iridescente, épais traits de khôl noir pour souligner son regard incandescent, rouge à lèvres carmin, ongles parfaitement vernis.
Ensuite, la coiffure. Elle choisit de laisser ses boucles brunes cascader librement sur ses épaules, et se contenta de vaporiser quelques paillettes sur son abondante chevelure.
Encore, les bijoux sonores.
Puis, la robe. Une longue merveille en arachnéenne dentelle dorée, presque transparente. Elle resterait pieds nus. Ce serait plus facile pour danser.
Enfin, le parfum, lourd, capiteux et voluptueux.
Elle était prête, déité symbolique de l’indestructible luxure.
Lorsque la sonnette retentit, elle lança une playlist avant d’ouvrir à Ethan, accompagné comme il se devait d’un parfait bouquet de fleurs rouges — ses préférées, elle le répétait assez souvent pour que personne ne se risque à lui offrir autre chose, sinon des pivoines lorsque c’était la saison — et d’une bouteille de champagne.
Salomé avait une bonne raison d’avoir fait porter son choix sur Ethan, raison liée à la thématique de la soirée : il avait beaucoup voyagé en Orient, où il avait étudié le tantra et les massages ayurvediques. Il lui promettait toujours qu’il répondrait à ses questions sur le sujet, mais à chaque fois les choses dérapaient trop rapidement pour ça. Ce soir Salomé avait décidé qu’il en serait tout autrement, et que son dîner serait l’occasion d’un cours (dont elle n’avait en réalité guère besoin), avant le passage à la pratique.
Pourtant, lorsqu’elle ouvrit la porte, Ethan banda instantanément, et eut envie de la prendre sans attendre sur le sol de l’entrée. Sa robe dorée qui descendait jusqu’au sol et épousait parfaitement ses formes voluptueuses, sa peau et ses cheveux parsemés de paillettes, ses yeux, qu’elle avait lourdement soulignés de noir, mettant en valeur leur vert éclatant, ses lèvres rouges, son parfum capiteux… l’apparition était magique.
— On dirait une déesse.
Salomé le débarrassa de ce qu’il avait apporté en souriant, mais lorsqu’il posa ses mains sur ses hanche et entreprit se remonter sa robe, elle lui signifia qu’il faudrait attendre pour ça.
— Mais tu sais, les plaisirs différés sont les meilleurs.
*
Ethan ouvrit le champagne, et ils s’installèrent dans le sofa en velours rouge pour l’apéritif.
— Je veux que tu me parles du tantrisme.
Il comprit tout de suite où elle voulait en venir.
— C’est une soirée thématique ?
— Exactement. Alors ?
— C’est très complexe, et il faudrait des heures pour tout t’expliquer, et notamment pour ôter de ta jolie tête les idées reçues des occidentaux à ce sujet. Disons que souvent, on ne retient qu’un aspect des choses, alors que c’est une véritable religion, qui ne consiste pas simplement à s’envoyer en l’air de manière raffinée.
Il but une gorgée de champagne, et poursuivit.
— Pour faire simple, tantra en sanskrit signifie trame, tissage. Il s’agit de relier l’âme au cœur, l’homme au divin. Finalement, le tantra, appelé aussi « voie des dieux », est considéré comme le chemin vers la divinité. Le mot tantrisme, lui, est un mot occidental. Il désigne la philosophie du tantra.
En bon professeur, Ethan aborda alors l’histoire, les différentes doctrines et principes, tout en différant la question de la sexualité. En réalité, Salomé savait déjà beaucoup de choses sur le sujet, même si elle était loin d’être spécialiste : après tout, son sujet principal de recherche était les résurgences des mythes et des cultes de la grande déesse, et cela incluait évidemment et prioritairement les cultes sexuels.
*
Ils passèrent à table, et dégustèrent leurs huîtres avec ce qui restait du champagne pendant qu’Ethan poursuivait son cours.
— Pour résumer, le chemin du tantra, c’est l’apprentissage des lois de l’amour universel et de l’harmonie, qui ne peut pas normalement être séparé de son soubassement culturel et religieux lié à l’hindouisme. Concernant la manière dont le pratiquent les Occidentaux, qui l’envisagent comme une manière d’améliorer la sexualité, on va plutôt parler de neo-tantrisme, et je pense que c’est surtout ça qui t’intéresse, non ?
— Non, je veux que tu me parles de la dimension spirituelle.
— Bien. Donc, pour faire simple : il s’agit de transformer et canaliser l’énergie sexuelle pour atteindre l’Eveil et l’harmonie.
— Tu sais quel jour nous sommes ?
— Le 21 décembre.
— Et c’est ?
— Le solstice d’hiver ?
— Oui, et le Global Orgasm for World peace, ou journée mondiale de l’orgasme.
— Il y a vraiment une journée mondiale pour tout…
— Il ne s’agit pas seulement d’avoir un orgasme, très cher. L’idée de départ est qu’un nombre élevé de pensées positives liées au plaisir sexuel pourrait modifier le champ énergétique de la planète, et rendre les gens plus pacifiques…
— Faites l’amour, pas la guerre !
— Exactement.
— Donc l’idée précise c’est ?
— Et bien qu’un maximum de gens sur la planète aient un orgasme plus ou moins en même temps. Cela rejoint un peu l’idée de la wicca et de la magie sexuelle supérieure, selon laquelle on peut utiliser l’énergie sexuelle pour développer les pouvoirs psychiques et influer sur le monde, notamment par des pratiques d’érotisme sacré.
— D’où ton intérêt pour le tantra, qu’à mon avis tu connais mieux que ce que tu veux bien dire…
*
Salomé servit son fameux risotto aux truffes et ouvrit le vin blanc. Ethan savait désormais ce qu’elle attendait de lui : cette femme était décidément étonnante dans sa manière assez complexe d’envisager la sexualité.
— Le tantra part du principe que l’Univers, à tous les niveaux, est marqué par la dualité et l’opposition de forces contraires : ombre et lumière, création et destruction, actif et passif, dynamique et statique, et bien sûr masculin et féminin : le but est donc de parvenir à l’harmonie, ce que je t’expliquais tout à l’heure, en vivant ces oppositions comme complémentaires et non comme conflictuelles, d’abord sur le plan individuel. C’est-à-dire que le tantrika va combiner les polarités qui sont en lui et éveiller une énergie qu’on appelle kundalini. Et parmi les moyens d’éveiller cette énergie, il y a le plaisir sexuel. Mais attention : ici le plaisir sexuel n’est pas une fin en soi. Le sexe tantrique, en réalité, c’est de la méditation. Ou du yoga.
— Cela me fait penser à certaines doctrines de la magie sexuelle. Chacun de nous est à la fois masculin et féminin. Et pour que la magie sexuelle fonctionne parfaitement, il faut que la part féminine de l’un s’imbrique parfaitement dans la part féminine de l’autre, et pareil pour les parts masculines. Ainsi, en s’unissant, ils recréent l’Homme absolu et la Femme absolue. Le dieu et la déesse. C’est ça ?
— Non, pas vraiment. Dans le tantra, l’harmonie se fait au niveau de l’individu. Mais de toute façon, tu ne cherches pas réellement à t’initier au tantra : tu es une hédoniste, et ce que tu cherches, c’est à esthétiser le sexe en lui donnant quelque chose de spirituel et de mystique. Ce qui me convient parfaitement aussi.
*
On passa au dessert. Des macarons, du champagne et, pour la forme, son philtre d’amour maya : vanille, cacao, cannelle, et un peu de rhum. Et à nouveau du Champagne. Comme tout était parfaitement chronométré, la musique de la danse des sept voiles du Salomé de Strauss s’éleva dans les airs, et la danseuse se leva langoureusement. Ethan se cala en arrière dans son fauteuil, un sourire en coin, pour la regarder exécuter son déshabillage provocant. Barthes avait bien tort de dire que le strip-tease désexualisait la femme alors même qu’elle se dénudait. Enfin, il avait raison, en théorie, mais il n’avait jamais vu danser Salomé, amatrice sans l’être, qui savait parfaitement recourir à tous les artifices magiques du spectacle sans lui ôter son érotisme. Salomé n’était pas désexualisée. Elle était hypersexualisée — mais sans doute l’était-elle même lorsqu’elle faisait la vaisselle. Si elle faisait la vaisselle, ce qui n’était pas sûr. Elle avait sans doute des esclaves mâles pour cela.
Ses mouvements étaient lents, parfaitement maîtrisés. Elle mit un grand morceau d’éternité à enfin ôter sa robe. Dessous, elle ne portait qu’un ensemble très simple en satin doré, qu’elle enleva alors que s’achevait la musique de Strauss pour laisser la place à l’adagio d’Albinoni.
Lorsqu’Ethan commença à se lever pour se jeter sur elle, elle l’arrêta d’un geste, un sourire énigmatique aux lèvres.
— Je veux un massage.
Evidemment.
Elle lui prit la main, et l’emmena dans sa chambre, le temple de la luxure. Les bougies qu’elle avait allumées avant le début de la soirée avaient embaumé la pièce de senteurs lourdes et sensuelles, mûre, musc et autre chose qu’il n’arrivait pas à identifier, et leurs flammes dansaient sur les murs, se reflétant dans l’immense miroir au cadre doré installé au bout du lit, et animaient la statue de la déesse Dewi Sri placée près de la porte. Sur le lit, Salomé avait recouvert les draps en satin blanc d’une fouta noire tissée de rayures dorées, et sur la table de nuit Ethan remarqua un flacon d’huile de massage au musc et aux épices. Tout était prévu. Rien, jamais, n’était laissé au hasard.
Salomé s’allongea à plat ventre, entièrement offerte.
Après s’être à son tour déshabillé, Ethan enduisit ses mains d’huile et commença à la masser. De manière assez classique, professionnelle même, pour débuter. Ses épaules, son dos, ses jambes, ses fesses, sans aucun geste déplacé. Puis il lui demanda de se retourner, et finit d’enduire totalement son corps. Il ne s’attarda ni sur les seins, ni sur le sexe.
Elle soupira de frustration.
Il passa à la deuxième phase du massage : celle qu’il effectuait non plus avec ses mains, mais avec son corps tout entier. Il glissait sur elle avec aisance, caressant son ventre avec son ventre, ses cuisses avec ses cuisses, avec son sexe dur. Il continuait également à utiliser ses mains, les insinuant dans la fente humide de Salomé, dans son sexe, sur son clitoris douloureux. Enfin, sa bouche. Il lécha, caressa, titilla, aspira jusqu’à la conduire à un premier orgasme, mais lui-même se retint. Il avait appris. C’était l’un des enseignements du tantra. Différer son orgasme.
Salomé le poussa pour qu’il s’allonge sur le dos. Il comprit tout de suite ce qu’elle voulait faire : en se mettant sur lui, elle pourrait se voir dans le miroir, dont c’était la destination première. Et décupler son plaisir à elle. Mais il n’était pas à plaindre : après lui avoir mis un préservatif avec sa bouche, Salomé se glissa sur lui, lentement, c’était chaud et serré, et il avait une vue imprenable sur ses seins dressés qu’il prit dans ses paumes. Elle commença son autre danse. Lente, langoureuse, elle montait et descendait sur sa queue, tantôt le regardant, tantôt se regardant dans le miroir, tantôt se basculant en arrière pour changer l’angle et les sensations. Lorsqu’elle se penchait sur lui pour l’embrasser, il était submergé par l’odeur de musc et d’épices, par le goût de champagne qu’elle avait encore sur la langue. Sa peau brillait et glissait sous ses doigts. Du salon s’élevait une musique qu’il ne reconnut pas. Il était pris dans un vertige sensoriel. Tout se mêlait et il était au bord de sombrer dans une véritable transe.
Serpentine, Salomé ondulait au-dessus de lui, gémissant et soupirant, accélérant et ralentissant. Avant de les faire sombrer dans la jouissance, elle se pencha et lui susurra quelques mots à l’oreille.
— N’oublie pas de dédier ton orgasme à l’équilibre du monde.
Et ils explosèrent d’un orgasme puissant et dévastateur, long et intense, qui les laissa pantelants mais satisfaits d’avoir contribué à la paix dans le monde, à leur manière.
Voilà, j’espère que cette première histoire vous a plu et, qui sait, qu’elle vous donnera des idées pour votre soirée ! N’hésitez pas à la partager et, si vous souhaitez recevoir la prochaine Escale Amoureuse, à vous abonner si ce n’est déjà fait !
J'avais déjà lu plusieurs de vos livres, notamment où le personnage principal narre ses aventures evc un homme différent par chapître.
J'apprécie que vous apportiez de la poésie à l'érotisme.
Comme dans un rêve. J'en avais besoin.
Les mots et le style enchantent comme toujours !